[RP] Les octrois lapino-linètesques

Et les vassaux avaient défilé, chacun à son tour, chacun avec ses traits propres que le bâtard s’efforçait de retenir, de mémoriser. Il n’avait pas apprécié mais n’avait pas non plus détesté cette pompe féodale qui ne le concernait que peu. Pour peu, il se serait tenu pour un étranger dans ce monde. Mais elles étaient là, et ils ne pouvaient pas ni ne voulaient leur causer de la peine. Alors il avait tout encaissé sans broncher. Sans jalousie non plus. Car leur papaaaaaaaaaaa avait prévu toute autre chose pour lui. Quelque chose qui pouvait se passer de fiefs et de couronnes. De plus, comment aurait-il pu devenir le vassal de sa sœur ? Il y avait pensé et avait classé cette idée dans la catégorie « débilités-absolues-à-côtés-desquelles-engrosser-la-Grand-Duchesse-de-Bretagne-passerait-pour-une-pure-action-de-génie ». Quant à être celui de Renarde, c’était tout autant hors de question. Elle n’était guère plus vieille que lui, et on ne pouvait pas vraiment dire qu’il l’avait jamais vraiment servie. Au contraire l’emmenait-il dans des expéditions particulièrement n’importequoiesques.

Mais tout cela avait dû avoir une fin, hélas. Une tension naquit sans qu’il en comprenne la raison lorsque son quart-de-sœur appela le blond inconnu. Les termes qu’elle employait, les intonations de sa voix, tout lui semblait cacher quelque chose. Quelque chose qu’il allait détester, il le sentait. Et la réponse du Normand ne fut pas pour le rassurer. Ces deux-là se connaissaient déjà. Et il l’avait ignoré. Elle le lui avait donc délibérément caché… Qu’est-ce que ça pouvait vouloir dire ? Et voila pas qu’il lui offrait son corps et lui promettait de ne jamais la quitter ? Sang-bleu qu’il aimait pas ça !

Enfin, ce fut le drame. D’un coup il revient au présent. Aurait-il été assis qu’il aurait jailli comme le carreau d’une arbalète. Il comprend alors tout, et reste muet. Rossinhòl, affection, rendre hommage, plaisir, disposer de son corps et de son âme, honorer ta personne, le lier à elle. Tout avait turbiné dans sa caboche, il avait senti qu’il bouillait. Sa face devait rendre pâle la plus écarlate des tomates. Rien n’allait plus comme il le fallait. Le temps s’était comme immobilisé devant le spectacle bien trop long de deux bouches qui s’unissent sans crainte. Et le Chauconin de ne parvenir à réagir qu’alors que les Normands sont à nouveau réunis.

Le regard qu’il lance à sa sœur est sans équivoque. Il dit la réprobation, le désaccord, le refus de ça. Mais il est vite détourné. Car elle reste sa sœur, celle qui peut-être plus encore que papaaaaaaa l’a accueillie et fait Síarr. En quelques enjambées il est à hauteur de Germain.

- Sang-catin ! Tu te crois à la foire ? On t’a élevé comme ça entre les génisses et les chèvres dans ton coin pourri ? T’es rien ! Tu sais rien ! Bâtard de Bretonne ! Tu resteras rien ! Va crever Faiblebutte !

C’était pas très relevé, mais il fallait pas en demander plus. Ça avait été crié, hurlé. La colère avait pris le dessus et le privait de toute réflexion. Et ce fut la colère qui acheva son spectacle en lui faisant envoyer un crachat directement sur le visage blond du nouveau sire de Montfort. Sans même attendre l’atterrissage du glaviot ni donc voir le résultat de son tir, déjà Guillaume marcha vers la porte, l’ouvrit à la volée et se rua dans l’escalier. Loin, vite, disparaître…

À peine le « Guilhem » fut-il entendu. Mais il en eut fallu plus pour le détourner. Le détourner de quoi exactement, il ne s’en posait la question. Ne plus les voir. Ne plus participer à… ça. Le roseau qui plie devant les épreuves ? Absurde avait toujours été ce conte à ses yeux. Mieux valait rompre, et si possible que ce ne soit ignoré de personne. Pour sûr qu’à tête reposée ou froide il en aurait souri tandis qu’il dévalait continuer de dévaler les marches plus vite encore que quand ils jouaient à chevalier-routier. Quand ils étaient jeunes, enfants. Mais cela aussi est loin de lui, pour l’instant. La réflexion et le questionnement sur soi, c’est bon pour les vieux barbons. Le bâtard testiculé n’est toujours pas repu. Il lui faut sentir le vent lui fouetter les tempes, il faut que sa sueur le nettoie de cette crasse qu’il sent sur lui. Presque un baptême, quoi.

Le voila au bas des escaliers que déjà il hèle un des valets du domaine : « Toi, un cheval, vite ». Ses traits déformés – mais par quoi au fond ? – l’ont certainement rendu convaincant car l’autre ne moufte pas et presse le pas vers les écuries. Le temps de trouver un roncin et il pourrait s’en retourner à son vrai travail : se renseigner sur les nouveaux marchands installés dans les ports d’Oc. Peut-être certains satisferaient-ils les goûts de la petite maîtresse ? Guillaume, quant à lui, faisait les cent pas. Qu’est-ce qu’il fichait l’autre ? Ça faisait bien au moins… trois secondes qu’il était parti. Et l’illégitime de redouter d’ouvrir l’oreille. Il craignait de les entendre, les rires qui éclateraient à n’en pas douter tout là-haut, chez les nobles. Qu’importe si cet état ne lui était pas destiné, ni s’il ne l’ambitionnait pas vraiment. Ils l’étaient, eux, chacun. Et pas lui.

Et déjà le palefrenier de lui amener une monture. De quoi satisfaire la lubie d’un enfant qu’on ne parvenait pas toujours à considérer comme le fils de son père. Mais au moins pour la monte, les deux se ressemblaient. Le Chauconin était en selle plus rapidement que nombre de ceux de son âge, et en donne à l’instant une nouvelle illustration. Ce n’est qu’alors qu’il tend les jambes avant de les rabattre sur les flancs de sa cavale qu’il perçoit quelque chose. Un petit pépiement. Rien de plus ne lui parvient. Mais il ne lui est pas inconnu, ce son. Sang-dieu, fallait-il vraiment qu’elle vienne s’embarquer dans cette chébèque ?

Il l’aperçoit alors qu’elle sort à peine de la gangue d’obscurité qu’est devenu le donjon.

« Je… Jehanne ? Mais qu’est-ce que tu fais là ? »

Impressionnant la pertinence des remarques, n’est-il pas ?

C'est toujours lorsqu'ils viennent des proches que les reproches font le plus mal. Et qu'on aime le moins ne pas penser comme eux. Elle ne pouvait pas simplement lui dire qu'elle avait eu raison, Renarde, non ? Non, c'eut été trop simple. Et il sent la colère monter en lui. Pas vraiment contre elle, mais contre ce qu'elle dit. « Est-elle vraiment aveugle ? », « Elle peut pas vraiment penser ce qu'elle dit », voila ce qui lui revenait encore et encore tandis que la petite vicomtesse poursuivait.

Il crispe la mâchoire au fur et à mesure qu'elle lui débite ses bons sentiments. Il bout et sent qu'il va vraiment exploser. « C'est normal de galocher son vassal, peut-être ? C'est normal de se donner en spectacle comme ça, comme des bêtes qui se travaillent dans les champs ? Non mais bon sang de bois, qu'est-ce qui ne va pas avec toi ? »

Heureusement, elle ne s'arrête pas à cela. Un fief... Il oublie presque aussi vite qu'elle l'a dit. Un fief. Un lien avec eux, voila bien ce dont il n'a pas vraiment envie. Oublier qu'il leur est proche, juste un moment. Plus tard il exploserait encore, seul face à sa sœur, il le sait. Mais là, il ne veut pas de tout cela. Pas avec le reste de la compagnie présente. Pas envie de les revoir, tous autant qu'ils sont. Seul un lui fait envie. Pendu au plus haut créneau de Saint-Félix, les yeux sortis à la petite cuillère, les corbacs en train de lui ronger le crâne, les vers lui suintant d'une panse ouverte en deux... Oui, voila ce qui serait, un jour...

Mais maintenant, elle lui offrait la porte de sortie, la soupape par laquelle disparut l'énervement, par laquelle elle évita qu'il ne lui hurle dessus, sur elle aussi, sur elle surtout.

« Oui, allons-y. J'en ai assez de Saint-Félix... Toi, un cheval », cria-t-il au gars qui pensait en être quitte, des lubies chevauchisantes du bâtard. Et une nouvelle bête d'être apportée, pour la petite Appérault. « Tu me suis, j'connais plein de coins où on sera pas dérangé. Tu m'fais confiance ? »

Si tôt dit, si tôt fait. Il serait pas dit que le Chauconin manquerait de bonnes manières… avec les personnes qu’il en estime dignes, du moins. Pour les autres… on en a déjà eu un sacré aperçu… En deux foulées, il est à ses côtés et déjà un sourire timide se trace son chemin sur son visage. Oui, sauf que faire la courte échelle à une fille en robe, d’un coup, ça lui semble plus si simple. Pas question qu’il se retrouve la tête sous ses jupons sans savoir ce qui se passait. Et avec une robe, on monte pas à cheval normalement. Faut faire l’amazone. Mouais, ça sent encore le pâté bien faisandé, ça.

- Voila c’qu’on va faire. Tu m’mets un pied dans les mains et l’autre dans l’étrier, tu t’appuyes sur l’arçon et ça devrait aller. Mais fais gaffe à pas nous envoyer valser tous les deux, Saint-Félix a assez donné dans le ridicule aujourd’hui. Puis on ira voir ailleurs. Peut pas nous arriver grand’chose, d’façon. Le coin est sûr et la guerre elle est loin d’ici. Puis au pire, j’te protègerai d’mon corps.

Mode « je fais le paon » ON.