[RP - II] Funérailles de Rekkared

Funérailles de Rekkared

Enterrement, Psautier-heures,
vers 1330-1340,
Avignon - BM - ms. 0121 - f. 091

Quatre mois... Quatre mois que Rekkared était passé de vie à trépas.

C'était le temps que Causit Astruc, humble clerc au service de feu l'anachorète Rekkared, maintenant crieur des morts pour annoncer à qui croisait son chemin la mort de son maître, avait mis pour faire un tour de France qui l'avait reconduit aux portes de la chapelle des Hérauts d'Armes de France.

Avant son départ pour ce tour de France, et conformément aux désirs de feu son maître consignés dans son testament, Causit avait fait le nécessaire afin que son corps puisse être préparé pour être ensuite enseveli dans la baronnie de Saint-Félix, en l'église Saint-Martin à Vinassan :

Rekkared était décédé par temps chaud, ce qui rendait impossible la conservation intacte de sa dépouille durant les quelques jours nécessaires pour rallier Saint-Antoine de Galamus à Vinassan. Il fit donc appel au barbier de Saint-Paul de Fenouillèdes afin que ce dernier prépare le corps de Rekkared vers sa dernière destination.

Resté seul avec le défunt, ledit barbier vida le corps de Rekkared pour n'en conserver que les os. Il pratiqua une longue fente ventrale comme lors des dissections, puis ôta le cœur, et toutes les autres parties molles, yeux, entrailles, cerveau. Puis, il dépeça le corps et pratiqua une « décoction » : il mit à bouillir ses différentes parties corporelles dans un grand chaudron rempli d'eau, jusqu'à séparation des chairs et des os. Enfin, le barbier procéda à un raclage énergique des os. Une fois décharnés, nettoyés, relavés avec du vin et séchés, les ossements pouvaient se conserver indéfiniment et se stocker sous forme réduite et pratique à transporter lors du voyage vers Vinassan.

Le corps était ainsi prêt à rejoindre sa dernière demeure. Mais encore fallait-il pour cela faire exécuter le testament de Rekkared. Et c'était la raison d'être de sa venue.

Ainsi s'exprima-t-il en langue d'oïl :

- « Bonjour. Je suis Causit Astruc, crieur des morts. Je viens à vous afin de vous demander de faire exécuter le testament de feu mon maître Rekkared dont vous disposez un exemplaire et que voici. »

Il déroula un rotulus [1] sur lequel était inscrit le discours & donations suivants :

Citation :: Nous, Rekkared, humble baron de Saint-Félix & seigneur de Vinassan en Narbonnais, Héraut ès Sceaux dit "Sigillant", Maître de la Librairie du Roy,

Faisons savoir que par devant-nous, se rappelant que notre Seigneur Dieu l'avait fait et créé avec ses autres créatures raisonnables afin de venir à gloire et qu'il n'est chose si certaine, après Dieu, que de recevoir mort naturelle, ni chose moins connue que l'heure de cette mort, voulant pour cela faire ordonnance de nous et de nos biens, tant que nous avons connaissance et entendement, disons et reconnaissons, que nous voulons faire notre testament,

Et incontinent, après que nous ayons rappelé et annulé tous les autres testaments et ordonnances que nous avons pu faire auparavant, nous, Rekkared, en la présence de notre fils Cristòl, seigneur de Marmorières, & de nos exécuteurs testamentaires, Anthony de Massigny, Roy d'armes de France, & Llyr, Maréchal d'armes de France, de notre bonne volonté et certaine science, en notre bon sens et mémoire, fîmes, réglions, et ordonnions notre testament et ordonnance de dernière volonté de nous-même & des biens, que notre Seigneur Dieu, par sa grâce, nous avait prêtés et envoyés en ce siècle mortel, en la forme et la manière qui ci-après s'ensuit et comme il est dit et réglé en cette présente lettre.

Premièrement, nous, Rekkared, recommandons notre âme à notre rédempteur notre Seigneur Dieu, priant que, quand elle quittera notre corps, il lui plaise par sa grâce et miséricorde l'appeler et mettre en sa sainte compagnie et gloire avec les âmes et ses élus.

Ensuite, nous rendons notre corps à la terre dont nous sommes venus, pour accomplir le dû de nature, et choisissons et requièrons d'avoir terre sainte et sépulture en l'Eglise Saint-Martin de Vinassan.

Item, ordonnons que nos obsèques soient faites en ladite Eglise Saint-Martin à Vinassan, bien et honorablement, selon l'état des finances de la baronnie et non autrement, sans grand faste, à la discrétion de ses exécuteurs, sans faire dîner, le plus tôt que bien faire se pourra ; et qu'outre ces obsèques, soient dites pour mon âme six messes basses.

Item, nous rendons notre office de Maître de la Librairie du Roy au Grand Maître de France qui nous avait nommé à cet office,

Item, nous donnons & transférons les registres des archives des maires & conseils des provinces francophones de Saint-Félix à la Librairie du Roy au Louvre afin qu'il puissent y être, si ce n'est perpétués, du moins conservés.

Item, nous rendons notre office d'héraut Sigillant à ladite Hérauderie de France pour qu'elle puisse en disposer à sa guise comme il se doit.

Item, nous léguons à Cristòl, notre fils unique, nos titres de noblesse de baron de Saint-Félix & seigneur de Vinassan, les droits & possessions afférants auxdits titres ainsi que nos biens matériels meubles & immeubles.

Item, nous ordonnons que les matrices de nos sceaux soient brisées afin qu'elles ne puissent jamais resservir.

Et s'il reste quelque chose, qu'il soit distribué aux pauvres par les mains de mes exécuteurs testamentaires, selon que bon leur semblera.

En mémoire de quoi, nous avons fait sceller cette lettre de notre sceau, du sceau de notre fils unique Cristòl, qui a juré de tenir et d'observer ledit testament, et des sceaux de mes testamentaires pour une plus grande confirmation.

Donné le jeudi IVe jour de septembre de l'an MCDLV [mardi 4 septembre 2007]

Sceau de Rekkared

Sceau de Cristòl

Sceau de Wulfen

Sceau de Llyr

Puis il enroula le rotulus est dit :

- « Je viens donc auprès de votre grandeur afin que vous daignez bien vouloir accepter la permission que l'ensevelissement de ses restes se fasse en ladite église Saint-Martin de Vinassan, en la baronnie de Saint-Félix. »

Voici la réponse qu'on lui fit :

Citation :: Felian s'approcha du crieur qui annonçait de nouveau la mort de son maître, feu le baron de Saint-Félix. Félix ... comme le héraut ès généalogies. Bon ... il va falloir qu'il s'occupe des Siarr, il n'avait pas encore acté le décès de Rekkared ...

- « Bonjour, crieur. Je vais acter rapidement le décès de ton maître. Transmets au baron de Saint-Félix les plus sincères condoléances de l'Hérauderie royale, bien que je gage qu'il les ait jà reçues. Concernant la baronnie de Saint-Félix, elle avait été transmise du vivant du baron père à son fils. Ainsi l'Hérauderie n'a pas à transmettre de certificat de succession. La famille de Siarr est donc en droit d'inhumer les restes de feu Rekkared de Siarr où elle le jugera à propos. »

Dès lors, il pouvait demander à qui de droit d'organiser les funérailles de feu son maître.
_________________
[1] Le rotulus est un parchemin sur lequel le texte n’est pas copié parallèlement au grand côté de la bande de parchemin, mais perpendiculairement - utilisé pour dresser des listes.
_________________
Sources :
- Alexandre-Bidon Danièle, La mort au Moyen Age, XIIIe-XVIe s., 1998, p. 200-201.
- La mort au Moyen Age, Cours des TDs d'histoire de l'université de Tours, format pdf, 8,53 Mo, 58 pages [d'après le testament du chevalier Geoffroy de Tournemine (10 juin 1264) & le testament d'un échevin de Mons (1er octobre 1426)].

Quatre mois. Quatre mois que l'Intendant félon de Saint-Félix tournait et retournait, en son esprit, la question de l'avenir. Les funérailles de Rekkared de Sìarr changeraient-elles quoi que ce fût à l'autorité despotique qu'il avait acquise avec fermeté sur la baronnie ?

Lorsque le crieur des morts, un Astruc des Fenouillèdes, vint le trouver pour organiser les funérailles de celui qui, dans le coeur de Delfin Blausac, demeurait le seul et unique Baron de Saint-Félix, l'Intendant lui dit que tout serait fait désormais dans les délais les plus brefs. Qu'il aille partout crier que sous trois jours, les funérailles auraient lieu en Saint-Félix ; et spécialement l'Intendant envoya à Carmen de Sìarr un messager dire la date de la cérémonie, et dire qu'il y aurait dans le Donjon une place particulière pour la douairière.

Il n'envoya pas de messager à Cristòl de Sìarr, à cause du conflit qui les divisait à son initiative ; Delfin Blausac choisit de laisser au destin le choix de la venue de son adversaire.

Par ailleurs, l'Intendant résolut de prévoir quelques dépenses de bouche, pour les hôtes illustres seulement, s'il y en avait ; et il ne prévut pas de trop. Il n'y aurait pas de banquet pour les habitants de la baronnie, car les dernières volontés de Rekkared de Sìarr étaient humbles et sans faste.

Le jour des funérailles vint. L'Intendant avait placé quelques gardes à Vinassan et au donjon. Il s'était recueilli sur les restes du Baron Rekkared, il avait préparé la boîte et le trou, dans le pavage même de la Chapelle Saint-Martin de Vinassan. Un prêtre était là, et la chapelle, qui n'avait pas servi depuis le baptême de Cristòl de Sìarr, était apprêtée modestement, comme l'avait voulu le défunt.

L'office funèbre devait être dit à sexte, et il était seulement laudes quand l'Intendant sortit de la chapelle et se dirigea vers la place du village de Vinassan, où il s'adressa à la population pour leur recommander l'humilité et l'hospitalité, pour les visiteurs qui viendraient rendre un dernier hommage au Maître de la Librairie du Roi.

Après quoi, il se dirigea vers le Donjon, où il voulait s'entretenir avec l'homme de confiance qu'il avait nommé à la tête de la garde de Saint-Félix, depuis qu'il avait entrepris d'armer la place.

Il ne devait pas en revenir.

[Le RP "La geste du Chevalier des Pyrénées" mettra en scène, au matin du jour des funérailles de Rekkared, Cristòl qui revient à la baronnie depuis de longues années et, allant à la rencontre de Delfin Blausac, lui demande des comptes. Nous verrons s'il meurt. Le RP de la geste est donc axé sur les rapports entre Cristòl et Delfin, les pensées de chacun, et le dénouement de leur différend.

Le présent RP, lui, mettra en scène les funérailles proprement dites de Rekkared de Sìarr, organisées par Delfin, mais auxquelles il n'assistera pas. À cette heure de la journée, Cristòl aura repris la tête de la baronnie.]

Le maître-queue du donjon, ayant en charge la préparation de mets pour les hôtes d'importance, prit le prétexte d'aller à Narbonne choisir la marchandise pour, comme il l'avait déjà fait par le passé, écrire à Cristòl de Sìarr, qu'il avait toujours tenu, au contraire de l'Intendant, pour le seul maître de Saint-Félix.
Voici ce qu'il dicta à l'écrivain public :

Citation :: Nous Felip Gaudenç, maître-queue au donjon de Saint-Félix,

à vous, Cristòl de Síarr, vicomte de Fenouilllèdes et baron de Saint-Félix,

salut.

Nous venons auprès de votre grandeur afin de vous faire part d'une nouvelle qui ne vous a peut-être pas atteint : votre estimé père, Rekkared de Sìarr, sera inhumé en la chapelle Saint-Martin de Vinassan sous trois jours. La surveillance sera relâchée sur la baronnie ce jour-là, & nous prions le Ciel que vous puissiez alors y entrer & faire son sort à l'usurpateur dont nous vous avons déjà conté certains abus, comme il s'en répète ces mois.

Seigneur Vicomte, venez en grande hâte, car de jour en jour nous craignons davantage pour le peuple de Vinassan.

Le maître-queue a dicté,
L'écrivain public a écrit,

Date en une auberge de Narbonne, le jeudi, XVème jour des calendes de novembre.

Et de la bourse que l'intendant lui avait confiée pour l'achat des viandes et épices, il puisa plus de pièces qu'il n'en fallait habituellement pour payer le transport d'une lettre. Ce n'était pas de ces lettres qui peuvent être prises par un lent convoi de marchands, et reçues une semaine ou deux plus tard.
Celle-là devait atteindre Saint-Paul de Fenouillet au plus vite ; car encore faudrait-il après cela que le Vicomte des Fenouillèdes en revînt.

La cérémonie débutait par une procession. Cette dernière commençait aux limites des terres de Vinassan, et suivait le chemin menant de Narbonne à l'église Saint-Martin, symbolisant un retour du défunt des montagnes Pyrénéennes aux terres de la baronnie de Saint-Félix.

En tête du cortège marchaient le curé de Vinassan, les enfants du village, les enfants de chœur et le descendant direct du défunt, Cristòl.
Suivait le corps de feu Rekkared noblement convoyé en bière dans une litière suspendue entre deux chevaux noirs recouverts de caparaçons endeuillés.
Derrière, avançaient les clercs, dont Causit Astruc qui avait assisté aux dernières heures de Rekkared, les nobles qui avaient faits le déplacement pour l'occasion et la foule des hommes du village suivie de celle des femmes reléguées en queue de convoi, jouant le rôle de pleureuses. Carmen, l'épouse de feu Rekkared, en tant que femme, demeurait parmi elles, mais dans le silence lié à sa condition de religieuse.

Ainsi le cortège alla jusqu'à l'église Saint-Martin de Vinassan.
_________________
Sources :
- Alexandre-Bidon Danièle, La mort au Moyen Age, XIIIe-XVIe s., 1998, p. 128-133.

Paula-Estèva d'Alanha était présente.

Anonyme dans la foule sans l'être vraiment, la Comtesse était vêtue et voilée de blanc en signe de deuil. Elle aurait pu être parmi les nobles en cet instant. Cela aurait été sa place. Mais sachant ce que le deuil coûte et bien qu'elle ne la connaisseait pas autrement que de vue, elle avait choisi de se porter aux côtés de Carmen. Respectant son Silence parce qu'il était aussi Sien, elle avançait yeux baissés et rougis.

Les seules preuves de son appartenance à la noblesse pour qui ne la connaîtrait pas étaient les tissus employés pour ses robes et les fils d'argent et d'or de leurs broderies discrètes, ainsi que le cerclet d'or qui ceignait son front et retenait le voile de laine fine qui cachait ses yeux et ses cheveux.

Quand Cristòl, le cœur lourd de ce qu'il venait de se passer au Donjon, était revenu vers le village, du nord-est, par la route de Fleury, puis l'avait traversé vers Narbonne pour aller au point où partirait le cortège, il n'avait pas eu d'efforts à faire pour porter sur son visage les traits de la tristesse et du trouble, quand bien même il ne savait trop ce qu'il pleurait.

Il ne savait toujours pas s'il devait regretter le décès de son père - cet hérétique. Il ne comprenait pas non plus la raison de ces funérailles aristotéliciennes. Pour cet hérétique.
Mais son cœur, serré et pesant dans sa poitrine, l'obligeait à la souffrance. C'était peut-être ça, la seule chose qu'il savait : il était triste. Qu'importait, au final, la raison ? C'était un jour à être triste.

Il vit sa petite mère, pleureuse en habit religieux. Il vit la Comtesse du Gévaudan à son côté - cette mère. Ces deux femmes qui avaient porté la vie. Sa petite mère à laquelle on l'avait arraché dans sa jeunesse. Et Paula, qui lui avait arraché la petite Aimelina.
Dans les multiplies tristesses qui s'entrecroisaient dans le coeur, le corps, l'âme de Cristòl, il y avait cette plaie béante en sa chair, l'absence de sa fille.

Oh, n'allons pas croire qu'il aurait fait un bon père ! Lui même n'avait jamais osé croire une telle chose. Mais plus le temps passait, et plus l'amour qu'il avait à donner s'accumulait, sans nul être envers qui le déverser.
Il les salua, toutes deux, de loin. L'heure était au silence. Les mots viendraient plus tard.

Il s'inclina devant le curé, et pressa la main de l'homme entre les siennes.

La procession se mit en branle, et lentement, pesamment, elle avança, poussée par le cers, vers Vinassan.

Aux côtés de Carmen, Celle qui avait donné la Vie à son Maistre, Paula avait peut-être pensé se sentir plus forte. Mais voilà. Quand Il était arrivé, le visage ravagé par la tristesse, portant sur ses épaules toujours ce fardeau qu'elle n'avait pas su lui retirer, elle avait vacillé. Car coup du Sort, jeu du Destin, Hasard de la Roue de la Fortune, c'est à ce moment-là qu'elle avait relevé un peu son visage qui ne faisait que regarder le sol.

Il la salua. Elle crut alors tomber dans un abîme sans fond et ne dut qu'à la gentillesse et aux réflexes de l'une des personnes présente à ses côtés de ne pas s'écrouler face contre terre. Elle tenta de se reprendre et Lui adressa aussi un signe de tête, accompagné d'un sourire bien pâle, bien las, caché de toute façon par ce voile que la brise légère soulevait par instants. Son cœur n'était pas à rire, ni même à sourire. C'était la première fois depuis cet Instant, depuis cette Insolente Alliance, qu'elle le revoyait. Ses entrailles se déchirèrent de le voir ainsi. Elle souffrait. Les larmes, refoulées jusqu'alors, se mirent à perler. Le cortège entama à cet instant son avancée.

Cela avait été un déchirement pour elle que de faire ce choix. Celui de laisser ses enfants à Alanha, auprès de personnes de confiance. Celui de laisser Aimelina. Et finalement d'interdire ainsi que son Père la voit enfin. Sans savoir pourquoi elle reculait cet instant. Sans cesse. Trouvant toujours prétexte.
Pourtant la Comtesse, la femme qu'elle était, savait et était persuadée, au fond de son cœur, que Cristòl n'était pas de ceux qui arrachaient un enfant de son foyer. C'était aussi ce qu'elle pensait de son Époux. Et Lòp-Guilhem n'était plus à ses côtés. Lineta avait été un rayon de Soleil pour elle. Lui apportant l'Amour dont elle avait besoin, la laissant renouer avec la Maternité mais ne marquant aussi que plus profondément la Solitude dans laquelle elle était enfermée. Et puis la première rencontre d'une fille et de son Père ne doit-elle pas être parfaite ?
Et c'était de ces raisonnements, de ces pensées que jaillissait toujours la réponse : "Le temps n'est pas encore venu".

Mais de voir Cristòl ainsi... C'était trop pour elle. Et elle se maudit alors de lui refuser ce qui peut-être aurait pu l'aider. Elle se promit alors d'aller lui parler. Ou d'au moins lui écrire une lettre. Elle ne pouvait pas laisser les choses ainsi. Pour Cristòl... mais aussi pour Lineta...

Alors que le Cortège avançait, le Silence se faisait alentour. Jusque dans certaines pensées, jusque dans certains cœurs. Sans pour autant que le Calme s'y installe.

Le cortège pénétra dans l'église Saint-Martin.

Pour l'événement, l'église avait été peinte de liteaux noirs, bandeaux de peintures ajoutés pour la circonstance et toute enluminée de chandelles et de cierges. La foule se pressait derrière puis autour du mort. Tandis que la foule se tenait ainsi debout, le curé de Vinassan, celui de Saint-Paul-de-Fenouillet qui avait fait le déplacement ainsi que le clerc Causit Astruc psalmodiaient autour du catafalque. Un poêle funéraire recouvrait le cercueil à couvercle plat, un simple coffret renfermant les os du défunt, sur lequel on laissa brûler quelques chandelles.

Un chien, entré avec la foule, traînait dans la nef sans que cela ne perturba personne.

Puis Causit Astruc, qui fut crieur des morts de feu Rekkared, ouvrit le rouleau des morts et avant d'en lire le contenu, dit :

« Voici le témoignage de quelques gens, humbles et illustres, qui croisèrent la vie de Rekkared. Personnes absentes physiquement, mais présentes de cœur avec nous. »

Puis il lit le rouleau des morts dont voici certains passages :

Citation :: Un homme autant cultivé et modeste nous quitte
Un homme qui servit son Roy et son Comté comme peu le firent
J'aurai eu l'honneur de travailler à ses côtés.
Que jamais son nom ne soit oublié sur les terres d'Oc.

Seing de Russo

Citation :: C'est peu de chose, un parchemin.
C'est peu de chose, une plume qui le gratte, et gratte inlassablement ses innombrables frères dans le silence studieux d'une étude.
Loin des ors, loin des lambris, loin des longs titres et de la gloriole, ce peut de chose peut cependant devenir la mémoire commune.
Que celle-ci garde à jamais en son sein celui qui n'a eu de cesse de l'entretenir, heure après heure, lettre après lettre.

Que le Très-Haut accueille auprès de lui le sage érudit, l'humble scribe de tous nos faits et gestes, et que tous, nous gardions son souvenir intact.

Là aucune signature. Seul Causit Astruc savait de qui il s'agissait.

Citation :: Mercès, Pretz, Dreitz, Dreitura, Leialtatz... Tu nous a montré tout ça. Tu nous a appris ce qu'est lo Paratge.

Tu as montré la Noblesse Occitane.
Tu as montré qu'être Noble et Juste n'était utopie.
Tu étais celui qui montrait la voie.
Je sais maintenant ce qu'est l'Inégalable.

Repose en paix, celle que tu as voulu pour les occitans; pour le Royaume.
Puissions nous suivre la direction que tu nous a montré.

Sengirem en Montpelhièr, sulcòp.

Seing de LeGueux

Citation :: Rekkared, un des plus grands.

Messieurs, dames, prenez-en exemple, tous autant que vous êtes.
Cet homme exceptionnel a changé la face du Royaume de son passage sur cette terre.
Puisse son passage dans le paradis solaire lui soit doux et reposant, il le mérite amplement.

Seing de Louis-Hubert

Citation :: Ceulx qui deussent parler sont muts
Les loyaulx sont pour sots tenus ;
Je n'en vois nuls
Qui de bonté tiennent plus compte ;
Vertus vont jus, pechié haut monte,
Ce vous est honte,
Seigneurs grans, moyens et menus.

Flateurs sont grans gens devenus
Et a hauts estats parvenus,
Entretenus,
Tant qu'il n'est rien qui les surmonte.
Ceux qui deussent parler sont muts.

Nous naquismes povres et nuds.
Les biens nous sont de Dieu venus,
Nos cas congnus
Luy sont pour vray, je vous le conte ;
Pape, empereur, roy, duc ou comte,
Tout se mescompte,
Quant les bons ne sont soustenus.
Ceulx qui deussent parler sont muts.

Seing de Anguillerusee

Citation :: Paix à son âme... Un grand homme nous quitte...

Seing d'Uterpendragon

Quelle sotte elle était. Toute à ses "affaires", toute entière à des tas de choses, Paula en avait oublié d'inscrire quelques mots sur le rotulus de Rekkared. Elle formula alors en pensée ce qu'elle aurait inscrit pour lui, persuadée au fond d'elle-même que le Très-Haut l'entendrait et que lui également saurait. Il n'y avait pas grand monde au final. Elle s'était attendu à un peu plus de reconnaissance. Mais finalement, ce n'était pas plus mal. Rekkared avait été un Grand Homme. Mais il avait également toujours été un Homme Simple. Ces funérailles étaient à son image. Simples.

Paula se recueillit longuement en pensées après que lecture fut faite du Rouleau des Morts.

À ce moment, Cristòl sentit qu'il devait faire, ou dire, quelque chose. C'était son père, et c'était un cathare. Mais c'était son père.

Il s'avança au côté de Causit Astruc, et dit, d'une voix ferme :

-« Je ne veux pas parler de l'homme. Je veux parler du père. Je lui dois la vie, bien sûr ; mais par deux fois il me l'a offerte, à ma naissance et à nos retrouvailles.
Une vie dure, une vie de tourmente. Mais une vie. Une vie à être le fils de Rekkared de Sìarr, poids si lourd, prestige si grand. Je ne sais pas s'il lui aura été donné d'être fier de son fils. Mais son fils était fier de lui. »

Cristòl n'aimait pas ces mots. Il avait bien d'autres choses en tête, et en vérité, tout ce qu'il avait pu penser en chemin, pendant les jours précédents, lui était sorti de l'esprit.
C'étaient des mots plats et convenus... qu'il n'avait su retenir, car aucun autre ne venait.

Un brouhaha de la foule fit comprendre qu'elle apprécia l'intervention de leur seigneur, non tant par son contenu que par le fait d'être intervenu.

Causit Astruc et un autre clerc soulevèrent une lourde dalle de la nef, laissant paraître un emplacement aménagé dans le sol. Le curé prit le coffret et le déposa délicatement dans la fosse.

Deux autres hommes apportèrent une dalle gravée avec laquelle ils scellèrent la tombe de Rekkared.

La dalle représentait Rekkared à la fin de sa vie, avec une épée gravée sour le gisant signifiant qu'il avait renoncé à son titre de baron pour se faire ermite. Bordant la dalle et le personnage gravé dans la pierre, cette épitaphe :

Citation :: Ci-gît Rekkared de Síarr, qui fût porte-parole du Conseil de régence du Comté du Languedoc, baron de Saint-Félix, Seigneur de Vinassan & de Marmorières, héraut ès Sceau dit "Sigillant", Maître de la Librairie du Roi, porte-parole du Conseil de régence du Comté de Toulouse, avant de quitter le siècle pour devenir simple anachorète de Saint-Antoine de Galamus jusqu'à son trépas.

Toute l’opération d’inhumation des reliques de Rekkared de Sìarr se fit dans un silence de mort, que seuls venaient rompre les raclements de la pierre que l’on déplaçait, le bruit mat de la boîte que l’on posait au fond, et quelques reniflements dans la foule, dus au froid et au deuil. Cristòl regardait le sol de la chapelle. Ou plutôt regardait-il au travers du sol, loin, loin derrière – ou dans le vague. Il regardait loin, là où plus aucune vie n’existait, et profondément dans son esprit, là où tous les sentiments sommeillaient.

Quand son regard se releva, ce fut pour se poser sur la silhouette de sa petite mère, Carmen, parmi les pleureuses. Quelle force que ce brin de femme ! Quelle force, dans une vie faite de renoncements et de déchirures. Arracher son fils à son sein, arracher son époux à son amour, et toujours, imperturbable, elle répandait sa bonté sur le monde. Figure aristotélicienne, seule balise désormais de Cristòl, qui avait tout perdu.

Lentement, il s’approcha d’elle, et posa sa main sur son épaule. Une simple main. Je suis là.

Elle était restée aux côtés de Carmen, l'Épouse de Rekkared, la Mère de Cristòl, la Femme la plus importante aux yeux de deux personnes qu'elle avait chéri et chérissait et surtout qu'elle admirait. Car, malgré la Mort, l'admiration qu'elle éprouvait pour l'Homme que Rekkared avait été, était, restait intacte. Malgré les rumeurs, avérées ou non, qui le disaient Cathare sur la fin de sa vie. Elle aussi avait bien songé à embrasser cette Foi qui lui semblait bien plus naturelle, bien plus bonne que la sienne propre.

La Comtesse avait senti son cœur s'ouvrir alors que la dalle était descellée, se rendant compte que si elle avait refusé un bonheur à Cristòl, elle en avait sans doute fait de même avec Rekkared. Elle se refusait à voir une faute quand le Très-Haut avait béni leur unique union. Ce n'était pas pensable que de croire qu'il y avait là un péché qu'Il condamnait. Pourquoi alors aurait-il béni cette Alliance de la Vie ?

Et alors qu'elle pensait à tout ce qu'elle avait volé à Cristòl, à Rekkared, et même à Carmen, son Maistre s'approcha de sa Mère et posa Sa main sur son épaule. Il ne l'avait pas vue. Elle n'était pas là. Baissant les yeux, elle se recula d'un pas avec cette idée soudaine qu'elle n'était pas à sa place, qu'elle ne méritait même pas d'être ici et faisait honte aux présents. Les larmes roulèrent sur ses joues et elle murmura un mot dans un souffle, un seul et unique mot :

Perdon...

D'un nouveau pas, elle recula. Tant sous le poids de la culpabilité que du chagrin qui la submergeait. Elle se promit alors, quand tout le monde serait parti, de demander au prêtre à rester seule auprès de la dépouille de Rekkared. Elle le lui dirait. C'était nécessaire. Mais pour l'heure, il fallait lui dire Adieu.

» Logis de Rekkared à Carcassonne
» [RP] Un fils enfin retrouvé : un flageolet dans la nuit
» Arrivée de Rekkared et Cristòl