[RP] Présentation de l'enfançon

À la veille de la saint Titus l'Apôtre, les contractions commencèrent. La douleur vint faire concurrence aux migraines incessantes qui vrillaient les sens et l'esprit de la Sìarrette. C'était ainsi depuis le troisième mois, et ça n'avait cessé depuis, n'importe l'alcool ou les plantes – ou l'alcool de plantes. Les rares fois où la migraine s'éloignait, c'était pour mieux l'accabler de vertiges, en sorte qu'elle n'arrivait pas même à descendre l'escalier du donjon pour prendre l'air, au risque de trébucher dans le piège du tournis.
Pourtant, les contractions tempérèrent ces affreux symptômes ; comme si le corps ne pouvait pas avoir mal partout à la fois. Y avait-il donc une clémence divine ?
Aimelina, se sachant près du terme, commanda aussitôt qu'on dépêchât des coursiers vers Montpellier et vers Rome, pour faire venir ses proches. Ils n'y seraient point pour la délivrance, mais ils devaient être prévenus. Adelphe, Magalona, Skip, Chauconin furent mandés.

Que dire de la délivrance ? Ce n'était pas la première de la Linèta. Le soir d'été tombait et le sol du massif de la Clape environnant, se reposant enfin, exhalait dans la nuit des senteurs de chêne, de thym, de laurier et de sel. La parturiente souffla comme un boeuf, elle se maudit de n'avoir pas fait chercher Skip plus tôt, lui, le médecin. À défaut, il y avait la matrone de Vinassan, et il y avait les deux camérières de Saint-Félix, Ugueta et Viana. Le travail se calma, le travail reprit. Entre deux moments d'intense douleur, à se promener dans la chambre comme un lion en cage, pour faire venir le petit, elle comptait les heures, évaluait la distance parcourue par les messagers, leur capacité à trouver et ramener sa famille à temps.

La nuit fut interminable. Dans tous les fluides qu'un corps peut exhaler, Aimelina transpirait et souffrait. On la nettoyait, on l'encourageait, les odeurs changeaient. Ça sentait la mort et les tripes, mais enfin – bientôt, un cri d'enfant marqua la fin de leurs efforts. Les quatre femmes étaient épuisées, et tandis qu'on enveloppait le petit être dans des linges propres, la Linèta, qui sentait son coeur battre à cent à l'heure, achevait le travail, expulsant placenta et autres chairs sur le déclin.

L'esprit de travers, les sens en vrac, elle finit par s'allonger – car elle avait, comme il se doit, mis bas accroupie, soutenue par la matrone – et s'endormit bientôt avec l'enfant contre son sein. On avait déjà fait chercher une nourrice, mais l'aube arriverait la première.

La journée s'étala entre nettoyage intensif de l'étage, préparations culinaires pour les proches qui arriveraient peut-être d'ici le soir, ou le lendemain et visites des paysans et villageois de Vinassan, qui apportaient des présents pour la mère et l'enfant – qui un panier de fruits, qui un bouquet béni...
Aimelina se sentait faible, mais elle ouvrait parfois les yeux, et caressait les doigts minuscules du petit être qu'elle avait mis au monde. Sa chevelure était claire comme les blés. Adelphe avait dû être blond dans l'enfance, et foncer avec l'âge...

Ugueta... S'ils arrivent, faites-les attendre en bas, je les verrai ensemble... dans l'aula...

Une fin de mois chargée. C'est le moins qu'on puisse dire pour le couple Casalièr. Reprenons les événements des 12 derniers jours. Le tout commence le 16 par un convocation à Montpellier pour une Assemblée Nobiliaire. Voulant bien faire, Skip annonce la couleur à Anna et, rapidement, les enfants sont embarqué dans la litière et lui chevauche avec le plaisir et la certitude de retrouver son adorable épouse. Jusque là tout va bien. Mais c'était sans compter sur Lengadoc, avec son toutou Debba, pour gâcher le tout! Après une légère altercation ayant presque conduit Skip devant le Tribunal du Languedoc et Debba devant celui de l'Inquisition, les choses n'ont pas été guerre mieux. Parlant de guerre... Il est facile de voir que le Coms, son "ami" Castelreng, à du mal à se détacher de l'opinion fausse que l'Ost existe encore. Ce n'est qu'un fantôme, il n'en reste rien de cette Ost autrefois la plus puissante de tous les Royaumes! Résultat des courses? Skip en ressort avec un ami de moins.

On continue avec le bon côté de cette fin de mois!

Skip et Ariana, ont été invité en Rouergue. Ariana étant "l'Évêque" remplaçant, de par sa charge de Premier Archidiacre, elle se devait de répondre présente pour une demande de ce genre. Et lui? Bah il ne va pas sans elle et elle sans lui. Ils ont donc officié ensemble à une cérémonie de bénédiction pour des feux de St-Jean. Suivi d'un bal. Sympathique événement qui à permis d'oublier le désastre Languedocien.

Et là? Alors qu'ils s'éloignaient de Rodez un coursier rapide arrive à les intercepter avec un bref message. Tout un message d'ailleurs! C'est donc là que s'arrête le voyage. Retour à la case départ, sans passer go, sans réclamer, avec juste une petite variation: direction St-Félix!

Skip regarde son épouse, quand ils sont proche d'arriver et lui sourit. Tout au long du chemin, des tas de questions étaient venu perturber le vieil homme, mais maintenant qu'ils y sont, il se dit que c'est dans l'ordre des choses. Il sera là au moins! Il sera le deuxième homme à tenir cet enfant. Ou "cette" enfant? Rien ne l'indiquait dans le message et c'est la dernière question qui lui reste.

Nous y sommes presque ma douce!

Il faudra arrêter au village avant pour se changer, encore. Et après, seulement, ils pourront entrer!

Alors que son époux était tout énervé, en plus d'être inquiet, elle, elle baillait. Certes, pas tout le chemin...quoi que...Certes, elle essayait de se ressaisir pour ne pas lui monter qu'elle est, somme toute, exténuée. Certes, elle tentait de profiter de chaque halte pour se reposer, pourtant, peine perdue...elle baillait à s'en décrocher la mâchoire.

La bonne nouvelle à tout cela, c'est que son époux était si pressé d'arriver qu'il chevauchait à quelques encolures devant elle. Beau, ravi de sentir son maître si empressé ne se retenait pas de galoper à loisir, aussi, c'est elle qui devait retenir sa monture, soit Black, en le suppliant de laisser son rival gagner leurs sempiternels duels, au risque qu'elle ne choit lors des galops effrénés des étalons.

Si elle était si lasse, c'était pour plusieurs raisons. Premièrement, elle dormait fort mal depuis plusieurs semaines déjà, à la suite d'un courrier de son supérieur, le Camerlingue. Ses craintes auraient pu se calmer peu à peu, mais cela avait été sans compter la désastreuse expérience de Montpellier où elle avait été à deux doigts de devoir porter plainte contre un Baron Languedocien. Enfin, et alors qu'ils auraient pu rentrer chez eux afin de profiter d'un repos bien mérité, ils avaient été interceptés par un courrier qui les avait menés là où ils se trouvaient dans l'instant.

Elle qui avait dans un premier temps détesté les voyages, puis adoré cela, voilà qu'elle n'était pas loin de revenir à son idée première : les voyages, c'est usant. Il faut dire qu'elle n'arrêtait jamais et qu'elle commençait à connaitre par cœur les chemins menant en Rouergue, en Arles et à Rome. La seule chose qu'elle espérait désormais, c'est qu'à leur arrivée, on lui donne une chambre et qu'on la laisse dormir

C'est donc la bouche grande ouverte sur un bâillement répondant à ses vœux qu'il la surprit. Elle aurait aimé pouvoir refermer la bouche et lui répondre, mais c'était impossible tant le bâillement lui sembla venir de loin et vouloir durer une éternité.

[Montpellier, jour de la naissance]

Tête penchée sur leur dernier achat, un manuscrit rare, en latin, le vrai, pas celui d'église. Regard qui détaille, cherche l'erreur, pèse et sous-pèse la réelle valeur. Puis tête qu'il tourne vers sa belle Magalona, si proche, toujours là.

Comment comprendrais-tu abolescere ?

Interrogation d'un esprit fin à un autre et réponse qui attendra. On leur apporte quelque chose, une lettre de Saint-Félix.

Visage qui se ferme, il prend et lit. Sifflement agacé qui sort de sa bouche, et lettre qu'il donne à sa jolie mie. Un livre a primé sur sa femme et il avait tout raté. Quel con ! Maintenant elle le convoquait comme on convoque un valet ! Quelle place occupe un père dans cette caste de barbares qu'on l'a forcé à rejoindre ? Regret soudain et pensée vers son père. Était-il là, lui, pour voir naître ses fils ? Avait-il été là pour sa naissance, à lui ? Qu'est-il normal de faire ou non quand on devient père ?

Regard, encore, sur la belle Magalona. Question qui brûle ses lèvres, il veut savoir.

Qu'a fait ton père à ta naissance ?

Question insensée d'un homme dépassé. Il ne voulait pas être père, pas de cette manière là. Il avait fui sa femme pour conjurer le sort. Il avait même prié, lui !, pour qu'elle perde son fruit. Le dieu de son père ne l'avait pas entendu, le vieil homme était sûrement sourd. Il était père, lui ! Lui...

Pas qui le mènent à elle, et main qu'il pose sur son bras.

Qu'est-ce que je suis censé faire, belle Magalona ? Tu sais que je n'en voulais pas.

A elle seule il peut l'avouer, à elle seule il peut se dévoiler. Elle est sa sœur, son amie, son âme.

[Montpellier, jour de la naissance]

Il m'avait demandé mon avis. Afin de répondre au plus juste je m'étais alors penchée également sur le parchemin : j'avais besoin de saisir le contexte pour choisir la traduction la plus juste. Mais nous fûmes interrompus. Je continuais de me concentrer sur le mot jusqu'à ce qu'il siffle, un signe d'agacement certain. Je pris la lettre pour en prendre connaissance. Adelphe plongea dans mon regard pour me prendre au dépourvu, comme à son habitude. Quoique je jugeais finalement logique, naturelle, cette question lancée comme un défi.

A : Qu'a fait ton père à ta naissance ?

Il se rapprocha de moi et posa sa main sur mon bras. J'avais appris à moins montrer les frissons que cela faisait naître en moi, du moins en étais-je persuadée.

A : Qu'est-ce que je suis censé faire, belle Magalona ? Tu sais que je n'en voulais pas.

Je pris alors sa main et la pressais, comme pour le rassurer.

Adelphe... Mon père n'était pas présent lorsque...

Ma gorge se serra. Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas parlé d'elle. Et puis il y avait l'aveu d'Adelphe que je comprenais différemment en cet instant, comme une révélation.

Lorsque ma sœur et moi sommes nées. Il était à la chasse. Les hommes sont proscrits dans ces affaires-là. C'est ainsi...

Je pensais alors que sa présence n'aurait, de toute façon, rien changé à l'issue.

Tu ne voulais pas de cet enfant. Pas plus que tu n'imaginais devenir le père de Cristòl. Et pourtant tu l'es et tu l'aimes.

Puis le pragmatisme, une façon de me protéger de certains sentiments qui remontaient en moi et que je tentais de repousser le plus loin possible, cette fois-ci j'en avais conscience.

Nous allons nous rendre auprès d'Aimelina. Nous ne savons même pas si elle a été délivrée. Certaines femmes mettent des jours avant que l'enfant quitte la matrice. D'autres encore croient que le moment est venu alors qu'il n'en est rien.
Il n'y a rien dans cette lettre. Rien d'autre qu'une annonce d'un évènement imminent.

Nous allons faire notre devoir Adelphe.

Et comme pour me persuader et chasser certaines pensées, je répétais en murmurant.

Nous allons faire notre devoir.

Et pourtant, je restais là à serrer la main d'Adelphe dans les miennes. C'était le seul soutien que je pouvais lui offrir.

Main qu'il pose sur son visage et regard douloureux qui plonge dans le sien.

Notre devoir ? J'ai déjà fait mon devoir en l'épousant et tu m'en demandes encore ?

Main qui s'échappe des siennes, il fuit, il s'éloigne. Corps qui va s'effondrer sur l'un des fauteuils, tête qu'il prend dans ses mains. Devoir, devoir, il s'est vendu par devoir ! Envers son père, envers son fils, envers sa petite fleur, vendu !

Tête qui bourdonne et souvenirs qui reviennent et l'assomment. Il avait tout accepté parce qu'il n'avait rien à perdre et tout à gagner. Un fils, une femme, des titres, des terres ! Une vie, un but ! Et pourquoi ? Il n'avait rien alors, mais maintenant, il l'a, elle...

Bras qui tombent et regard qui la cherche, la trouve.

Puisqu'il le faut, je deviendrai l'image de cette noblesse dans laquelle tu es née. Insensible, gonflé d'orgueil, ne connaissant que les devoirs.

Corps qui se lève et regard changé, posé sur elle.

Demande à ton Clamenç de faire préparer la voiture, nous partons dans deux heures.

[Sur le chemin menant à eux]

Ordres donnés, ordres exécutés. Place qu'il a prise dans la voiture, près d'elle et transformation qu'il commence. Agir comme le Vicomte qu'elle a fait de lui, ne plus penser ni exister. Main posée près de celle de la belle Magalona, et regard vers l'extérieur. Dehors tout vit, tout explose. Contraste avec l'intérieur morne et figé.

Adelphe a mal. Je le vois dans ses yeux, mais même sans le voir je le sais, je le sens. Et je ne le supporte pas. Moi, l'indifférence par essence, la sans coeur vouée aux ténèbres depuis ma naissance. A ses mots, avant qu'il ne s'échappe, je voudrais répondre, mais ma gorge reste muette. Je n'ai aucun droit sur lui, aucun droit de lui demander quoi que ce soit.

Mes yeux le suivent alors qu'il va s'effondrer dans le fauteuil que j'ai quitté pour lui répondre. Comme l'insouciance de cet instant est loin maintenant ! Je reste sans bouger, là, à le regarder sans pouvoir prendre cette souffrance qui le dévore. Alors je prie, je prie de toute mon âme afin que le Très Haut la lui retire et me la remette. Je connais la souffrance, je la sais depuis ma naissance. Elle est ma compagne autant que l'est la Mort. J'amorce un pas vers lui, dans l'idée idiote de m'agenouiller près de lui pour lui voler cette douleur impalpable. Mais je n'en ai pas le temps que déjà son regard vient à la rencontre du mien.

A : Puisqu'il le faut, je deviendrai l'image de cette noblesse dans laquelle tu es née. Insensible, gonflé d'orgueil, ne connaissant que les devoirs.

Je baisse alors mon regard pour tenter de ne pas perdre pied. Et puis le calme se fait en moi, prenant le pas sur cette blessure qu'il m'inflige. Je relève mon visage, calme, revêtant ce masque que la présence d'Adelphe m'avait fait retirer.

A : Demande à ton Clamenç de faire préparer la voiture, nous partons dans deux heures.

Ce sera fait.

Ma voix est rauque. Comme bien souvent. Je devine le changement qui s'opère en Adelphe sans même avoir besoin de le voir dans son regard, dans son attitude. Je tourne le dos et je m'exécute.

Comme prévu, la voiture est préparée bien avant l'échéance. Il ne m'a fallu qu'à peine plus de trente minutes pour être prête : je n'emporte jamais trop d'affaires et je préfère voyager léger. Je n'ai finalement eu qu'à m'occuper de mon écritoire pendant qu'une des servantes qui a la garde de ma demeure montpelièraine s'est occupée de ranger le peu de vêtements que j'avais apporté. Quand Adelphe se présente, je suis déjà dans la voiture, le regard tourné vers l'extérieur. Le cocher sonne le départ. Quatre hommes nous accompagnent, dont Clamenç qui a été déchargé de sa mission pour le comté et m'est revenu.

Le chemin sera long car je refuse que l'on cravache les chevaux. La précipitation dans des moments pareils n'est que le gage de malheurs. Après tout, n'est-ce pas ainsi qu'elle m'a quittée ? Maudites bestioles...

Je sens la main d'Adelphe proche de la mienne. Je sens la chaleur et la froideur qui en émanent. Je me sens vide. Je me sens morte. Mais après tout, n'était-ce pas déjà écrit ? Mes pensées se bousculent, foisonnent alors même que mon coeur m'apporte une douleur que je ne lui connaissais pas et reste étranger à ma raison. Il ne veut rien accepter mais il le faut. C'est le poids du devoir. C'est mon fardeau. Mais le chemin est plein de cahots...

"Tais-toi mon coeur. Je ne te reconnais pas."*

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*Dionysos - La Mécanique du coeur.

Édition pour mise en forme (italique manquant).

[Le visage fait connaître la couleur du cœur Dante Alighieri]

Regard toujours porté sur la vie, le dehors, et mots qui lui échappent.

Il faudra que tu me conseilles un maître de chasse et un maître d'armes. J'ai déjà trop attendu pour apprendre. Quelle chasse est la plus prestigieuse, au vol ou à courre ?

Sourire moqueur qu'esquissent ses lèvres et yeux qui fixent tout et rien.

La dernière fois que je suis allé à Paris, j'ai entendu deux de ces barbares prétentieux parler de cerfs. Tu savais que c'est un signe de grandeur de poursuivre un cerf et de l'achever ?

Rictus qui arrive, moqueur. Quels bandes d'imbéciles ! Aussi idiots qu'ils sont ignares ! Tête qui se tourne vers elle et autre demande.

J'ai confiance en toi pour me donner des conseils. Tu me parleras de mon beau-père et de ton père, il faut que je sache tout sur eux.

Paroles qu'il arrête, regard qui la fixe, et sentiment qu'elle est si loin. Main qui prend la sienne, la serre. Elle doit le regarder !

Qu'est-ce que tu as ? Tu n'as rien dit depuis que nous sommes partis.

Adelphe parlait. La voiture avançait. Mes yeux se perdaient résolument par-delà la fenêtre. Il me demandait des conseils qui me semblaient si futiles à cet instant. Je ne répondis pas. Mes mots restaient enserrés dans ma gorge en une boule qui ne cessait de grandir depuis que l'illusion avait volé en éclat. La chasse au vol était ma préférée. J'avais plusieurs oiseaux destinés à cet usage en Gévaudan : sacre, gerfaut, lanier, hobereau, crécerelle, émerillon, pèlerin, autour, épervier... J'avais maints manuscrits sur le sujet, dont une copie du fameux Liber acciptrum de Grimaldus. Je haïssais en revanche la chasse à courre, du plus profond de mon être.

A : J'ai confiance en toi pour me donner des conseils. Tu me parleras de mon beau-père et de ton père, il faut que je sache tout sur eux.

Je le ferais, parce que tel est ton désir. A cette pensée, sa main saisit la mienne qui se met à trembler sans que je ne comprenne pourquoi. Soupir et serrement de ma poitrine quand il achève sa question. Ma gorge est toujours nouée, mais je me dois de lui répondre. Je ferme les yeux un instant cherchant à puiser... quelque chose en moi. Je dois dépasser cette douleur comme je dépasse les autres. Mes yeux toujours tournés vers notre fuite en avant, je réponds enfin, dans un murmure rauque.

J'ai du mal à parler.

Je...

Ma gorge est toujours nouée. Les mots forment une boule qui semble grossir et m'étouffer. "Pourtant tu sais Adelphe que je n'aime pas parler pour ne rien dire."

Je t'offrirais une copie du Liber acciptrum de Grimaldus. J'ai quelques autres écrits sur la chasse au vol, tu pourras les consulter à loisir. Et t'entraîner avec mes oiseaux. J'en choisirais un ou deux qui conviendront à ton caractère et j'en chercherais d'autres selon les affinités que tu te découvriras avec les miens et selon que tu préfères le vol de poing ou le vol de leurre.

Ma voix est inégale alors que je tente de la contrôler. Mes mots sonnent creux.

Clamenç pourra te servir de maitre d'armes au début.

Mes lèvres sont si sèches. Parler m'a demandé un tel effort ! Je tente alors de rassurer Adelphe en pressant sa main qui tient la mienne. Je ne veux pas le blesser plus qu'il ne semble l'être. Mais comment faire ? Comment agir ?

Adelphe... Parle-moi. Parle-moi vraiment... Que t'importent ces fadaises ?

Je tournais alors mon regard éteint vers lui.

Mouvement de recul lorsqu'il voit ses yeux. Il l'avait crue malade, victime de ses étouffements mais c'est autre chose. Elle avait parlé de la voix morte qu'elle utilise avec les autres. Et puis il y avait eu sa dernière phrase et ce mot : Fadaises !

Regard qui la détaille et main qui serre toujours la sienne. Elle est froide sa main, morte, comme sa voix, ses yeux. Pour l'amputé des sentiments qu'il est, c'est une énigme. C'est elle qui lui parlait de devoirs, et lorsqu'il s'informe et se forme, elle semble si loin de lui. Constat qu'elle réagit comme les autres femmes. Elle veut mais lorsqu'elle a, elle ne veut plus.

Main qui lâche la sienne et regard qui soutient le sien.

Tu as raison, je n'ai rien à foutre de la chasse comme je n'ai rien à foutre de l'Ost et de savoir me battre.

Sens qui s'échauffent et regard qui devient brillant.

Cet imbécile l'autre jour, tu sais que ma première envie a été de lui prouver qu'on peut tuer un homme sans avoir à agir comme un butor ?

Sourire mauvais et bouche qui lâche.

Tu sais que j'ai déjà tué un homme ? Je n'ai même pas eu à me salir les mains.

Rire qui fuse et buste qui se penche vers elle.

Faire jouer ses muscles et montrer ses attributs ce n'est pas être un homme, tout au plus une bête.

Dos qu'il repose contre la voiture, sourire aux lèvres.

Mais il faut que je fasse illusion, non ? C'est bien ce qu'on attend de moi ?

Tête qu'il tourne vers elle, encore.

C'est bien ce que tu veux, n'est-ce pas ?

Ce que je veux ?

Ce que je veux...

Peut-être est-il venu, le temps de l'aveu qui ne devrait pas être fait.Le temps de reconnaître ce dont je viens juste de prendre conscience.

Ce que je veux... Je n'ai pas le droit de le vouloir. Je n'ai pas le droit d'avoir d'espoir.

Ma poitrine se serre, carcan qui se referme sur un cœur qui manque un battement le temps d'un souffle. Mon souffle se fait plus court. Pourtant, je n'arrive pas à y reconnaître les symptômes de mes crises.

Adelphe...

C'est une supplique. C'est un supplice. Ma main se porte à ma poitrine alors que le souffle me manque. La pression est telle que j'ai l'impression que mes côtes se referment sur mes poumons, que je vais éclater... Le poids du devoir. Le poids d'un secret tellement bien gardé que je ne voulais même pas l'accepter.

Il n'y a rien qui m'importe plus que ton bonheur.

Voilà, c'est dit. Ma poitrine se libère. Mon souffle est toujours un peu court, mais il s'est allégé. Et déjà la raison l'emporte, mêlée pour cette foi d'une passion que je ne me connaissais presque pas. Alors dans l'écrin de mon esprit j'échafaude un plan pour le libérer de ses engagements qui ne font que le rendre malheureux. Par là-même, peut-être que cela rendra un peu de joie de vivre à ma sœur que j'ai trop délaissée, que j'ai oubliée. Que j'ai trahie ? Je n'ai pas quitté le regard d'Adelphe.

Tu as raison. Ma famille n'aurait pas du te demander un si grand sacrifice. C'est elle qui te doit tout alors que tu ne lui dois rien...

Regard perplexe qui la voit manquer d'air, il se prépare à intervenir, elle ne doit pas s'étouffer, là, sous ses yeux ! Mais déjà elle respire après avoir prononcé des mots qui l'intriguent. Mains qui s'apprêtaient à la soutenir, se posent sur ses bras et regard perçant qui cherche et comprend.

Mains qui la laissent partir et dos qui se pose, lourd, contre la voiture. Regard fixé sur le dos du cocher et temps qui passe. Esprit qui comprend qu'elle est comme lui. Pauvre imbécile qui croyait avoir réussi à la tenir éloignée de lui !

Main qu'il passe, nerveux, dans ses cheveux. Et puis tombe sur sa cuisse. Bouche qu'il entre ouvre et paroles qui sortent sans qu'il réfléchisse.

J'ai accepté pour que Cristòl ne vive pas ce que, moi, j'ai vécu. J'ai manqué d'un père, lui avait le droit d'en avoir un.

Soupire, silence, aveux.

Je ne suis pas un bon père. Je ne fais que singer le mien, comme un animal. Je ne suis pas non plus un bon mari, j'ai essayé, je n'ai pas réussi.

Tête qu'il tourne et regard qu'il pose sur l'extérieur qui défile.

J'ai cru aimer trois femmes dans ma vie. La première est devenue ma suzeraine. C'était de la tendresse. La seconde, ma belle-mère. C'était de la jalousie. La troisième est ma femme. J'ai essayé, j'y ai cru, je n'y arrive plus.

Regard enfin sur elle et aveu, encore un !

Leur point commun est que je les ai désirées. Toutes ! Tempérance car elle est imprévisible et que je l'ai aimée dès notre enfance. Ariana, pour blesser mon père. Tu imagines si j'avais pu la traîner dans mon lit ?

Ricanement qui cache qu'il est désabusé.

Aimelina...Parce que j'ai voulu la soumettre pour lui faire payer son caractère hautain. Elle ne demandait que ça, que je la prenne et la maltraite ! Je l'ai fait...

Yeux qu'il pose sur sa main, blanche, belle. Bras qui se déplace et main qui se pose sur la sienne, la caresse, l'enserre. Aveu, le dernier.

Et puis j'ai appris à te connaitre...Magalona...

Je suivis des yeux la main qu'il passa dans ses cheveux, comme souvent lorsqu'il était nerveux, du moins pensais-je l'avoir remarqué. Et alors Adelphe parla. Avec sincérité, toutes défenses abattues. Il exprima sa vérité, son ressenti, exactement ce que j'avais deviné : il se croyait mauvais père. Je n'étais pas d'accord et Cristòl ne l'était sans doute pas non plus. Je ne répondis pas : je ne voulais pas briser ce qui se jouait, cette confiance aveugle qu'il me faisait. Puis il me parla des femmes qui hantaient sa vie.
Tempérance. Je l'avais toujours su.
Ariana ? Je ne l'aurais pas cru.
Aimelina. Ma sœur. Elle l'avait perdu.

Pensées qui s'enfuient "Tu les as désirées toutes trois. C'est naturel, elles sont tellement fortes à leur façon." Je ne pouvais que comprendre de tels sentiments.

Puis Adelphe vint quérir ma main. Je la lui offris car je savais qu'il ne voyait en moi qu'une amie que l'on sait pouvoir taquiner, à qui l'on sait pouvoir se confier. Je n'ai jamais rien voulu voir d'autre dans notre lien que celui d'une belle-sœur et d'un beau-frère qui ont une belle-entente. Parce qu'il est l'époux de ma sœur. Parce que de toute façon, je n'ai rien d'autre à attendre de la vie. Pourtant dans cette étreinte de sa main et de la mienne, quelque chose semblait avoir changé. Il me livra alors ces mots que je ne comprenais pas, que je n'arrivais pas à concevoir.

A : Et puis j'ai appris à te connaitre...Magalona...

J'oubliais un instant de respirer. Mon cœur manqua de nouveau un battement "Se pourrait-il que... ?". Mon cœur espérait comprendre à demis mots la révélation offerte. Ma raison murmurait à mon oreille qu'Adelphe ne cherchait qu'à me faire comprendre qu'il ne me désirait pas.
Esprit ? Cœur ? Lequel écouter ? Lequel est capable de lire la vérité ? Comment savoir ? Et la raison, la vision objective que je pensais avoir de moi ainsi que mon manque de confiance en moi sur le sujet des sentiments eurent raison de mes interrogations : Adelphe était un gentilhomme et ne cherchait qu'à me faire comprendre que je restais sa sœur. "Il a désiré ces femmes. Toi, il ne te désire pas. Comment pourrait-on désirer une souffreteuse comme toi ? Comment aimer une femme aussi laide ?"

Pourtant... Pourtant quelque chose clochait. Quelque chose ne tournait pas rond. Je ne savais pas l'expliquer. Alors, après un silence qui dut lui paraître bien long, je répondis enfin. Nouvel aveu. Aveu d'impuissance. Aveu de faiblesse.

Je...

Je ne comprends pas...

Sourire pour une fois loin d'être moqueur, il est doux ce sourire qu'il lui offre. Il est doux comme du miel d'été, sucré, ni trop dur, ni trop fuyant. Il n'est que ce qu'on désire.

Main libre qui va se poser contre sa joue, la caresse, s'y attarde. De la racine de ses cheveux à la perfection de sa mâchoire, il découvre tout. Il se tait car les mots ne sont qu'illusion, que façade, il n'y a que les gestes qui soient vrais. Sa main caressante lui murmure qu'il la trouve belle, ses yeux calmes et profonds, qu'elle a réussi où les autres n'avaient fait qu'échouer. Sa retenue, enfin, qu'il la respecte comme il n'a jamais respecté une femme. Cette femme face à lui, il ne la désire pas, pas comme toutes les autres. Il serait pourtant insensé de croire que son corps ne veut pas d'elle, il la voudrait si leur vie était différente.

Corps de l'homme qui se penche, lentement, faisant craquer le siège où ils sont assis et regard qu'il pose sur ses lèvres. A quoi servirait de lui expliquer une chose qu'il ne s'explique pas lui-même. Corps arrêté mais visage qui poursuit son chemin, encore un peu, juste un peu plus loin. Main figée sur sa joue tendre quand ses lèvres rencontrent les siennes. C'est doux, c'est sucré, c'est du miel d'été.

C'est effrayant. C'est doux. C'est affolant. C'est bon. C'est terrifiant. C'est divin. C'est...

Je ne pense plus. Mon esprit s'est arrêté de raisonner et de résonner. Adelphe a délicatement posé ses lèvres sur les miennes. En m'offrant ce baiser, le premier baiser de ma vie, il m'a happée dans un tourbillon, dans un cyclone.

J'existe. Je vis. Je suis.

Je ne connais rien à ces choses-là et pourtant mes lèvres s'entrouvrent légèrement et répondent à cette étreinte. C'est comme si mon corps avait été en attente de cet instant, ou plutôt en attente d'Adelphe.

Je me perds dans les profondeurs de cette première fois, je m'y noie avec délices et j'y réponds avec douceur, tendresse et pudeur.

Plus rien n'existe à cet instant. J'ai l'impression d'être enfin moi. Mais la réalité me rappelle à elle, brutale. On frappe à la porte de la voiture pour signifier l'arrivée.

La porte s'ouvre sur Vinassan.

La période normalement chaude du bain en couple avait été plutôt tranquille cette fois-ci. Étrangement, son épouse avait plutôt préférée se reposer. En soit, ce n'était pas si étrange. Peut-être un peu décevant pour Skip qui espérait profiter du moment pour faire plaisir à sa douce. Le plaisir est donc venu autrement et c'est avec un massage et de l'huile qu'il avait aidé sa douce à se défaire des douleurs du voyage.

En sortant de l'Auberge, reposé, lavé, dé-courbaturé, Skip avait attendu son épouse pour faire le dernier bout de chemin les séparant du Donjon à pied, question de prendre un peu son temps.

Ce fût heureux car c'est ainsi qu'apparut une voiture aux couleurs d'Alanha juste au moment où ils arrivaient. Ce fût Skip qui s'approcha et frappa à la porte. S'il avait su ce qu'il venait de déranger, peut-être que Skip aurait attendu encore un moment avant de frapper. Ce qu'il voit à ce moment là est un couple. Un peu trop proche peut-être? Peut-être venaient-ils juste d'échanger un secret? Surement. Ce doit être ça. Juste un secret.

Bonjorn! Je ne m'attendais pas à t'y trouver aussi Adelphe!

Il les regarde et décide de ne rien voir de plus. Galamment, il offre sa main à Magalona pour l'aider à descendre.

Vous avez de très jolies couleurs aux joues Donà. Vous me semblez en bonne forme aujourd'hui! Mieux qu'à l'AN en tout cas!

L'aidant à descendre, il regarde vers Ariana et lui sourit.

Tu ne trouve pas ma douce?

Elle aurait du s'en douter, on ne la laissa pas rejoindre Morphée. A la place, elle eut droit à un bain chaud et à des massages qui eurent tout l'effet contraire de celui qu'ils auraient du avoir : elle était encore plus lasse qu'à son arrivée.

Si les mains douces de son Ange avaient fait leur office en la dé-courbaturant, elles relâchèrent tant ses muscles qu'elle se sentait comme une poupée de son, désarticulée et prête à choir au moindre coup de vent.

Elle prit donc soin de passer une vêture qui ne soit pas trop légère, comme si cela pourrait la retenir de chuter..., se coiffa du mieux qu'elle put afin de ne pas faire honte à son époux et surtout, ne pas faire peur à l'enfançon, puis prit la main de son Ange adoré afin de sortir de l'auberge et gagner le donjon.

Ils marchèrent donc, ressemblant à une sorte d'animal mythique avec leur canne respective les soutenant, puis s'arrêtèrent dès lors que son époux vit une voiture. Elle laisse sa main pour qu'il puisse gagner la voiture et regarde, légèrement haussée sur la pointe des pieds, par dessus son épaule.

Ce qu'elle y voit, et que son Ange semble vouloir occulter c'est quelque chose dont elle lui a déjà soufflé mot et qu'il n'a pas voulu entendre. En effet, depuis cette horrible Assemblée Nobiliaire, elle a des doutes. Se pourrait-il que son beau-fils ait une histoire avec la si noble et douce Comtessa Magalona ?

Elle cesse d'épier, après tout ce n'est pas poli, puis sourit lorsque son Ange l'interroge. Elle avise son Ange et le couple puis...

Adissiatz Dòna Comtessa, Adelphe. Vous avez fort bonne mine tous les deux. Votre voyage s'est bien déroulé ?

Noyez le poisson pour que son Ange ne poursuive surtout pas sur sa lancée. Sait-on jamais ce qu'il pourrait inventer ensuite...

Sourire qui s'impose au constat qu'elle ne s'échappe pas, mieux, qu'elle répond au baiser donné. Gestes qu'il retient pour ne pas effrayer la pucelle dont il se doute que c'est le premier moment intime qu'elle connait. Baiser qu'il voudrait faire durer, prolonger, qu'il ne s'arrête jamais. Ébauche de son corps pour se rapprocher encore et de sa main pour glisser sur sa nuque, sous ses cheveux, sur sa peau.

Surprise ! Bouche qui s'évade, visage qui recule et regard posé sur le sien. Main glissant le long de son bras et position chaste qu'il retrouve. Tête qu'il tourne en entendant son père et comédie qui reprend.

Bonjour père. J'étais à Montpellier pour l'acquisition d'un livre, venir séparément aurait été une perte de temps.

Sa belle Magalona s'échappe et lui descend et s'incline devant l'autre.

Madame ma mère. Le voyage a été plein de surprises.

Regard de biais sur sa jolie mie et sourire qui s'affiche. Puis, main qu'il présente à sa belle-mère, amusé de l'incongruité de la situation. Pas qui la guide, enfin, vers le donjon, là-bas, au loin. Quelques pas pour redevenir le mari d'une autre, un simulacre de père ravi, un homme de comédie.

Minutes passées dans le silence de ceux qui n'ont rien à se dire et, enfin, la porte du donjon est passée. Regard autour de lui, l'enfant est il né ?

Ugueta, à forces courbettes, accueillit tout ce monde : le père, la tante, les grands-parents. Elle les invita à s'asseoir dans l'aula magna, disant à tous dans son accent d'oc, car le père était empressé et ne manquait pas de le montrer :

La délivrance a eu lieu, l'enfant est lavé, Viana va aider la vicomtesse à descendre vous le présenter.

Et la nourrice porterait l'enfant emmailloté.
Ugueta distribua boissons et mets de pain de millet et de salicorne, dans l'attente de la présentation, qui désormais ne pouvait plus guère durer. Quelques gens de Vinassan furent aussi autorisés, debout, en retrait. Ils arrivaient par petites grappes et se montèrent bientôt à plus d'une douzaine.

Aimelina, là-haut*, avait été lavée et couchée derechef.
Le lecteur attentif et assidu notera que l'organisation des trois étages du Donjon a légèrement changé, car autrement, aula et appartements seigneuriaux étaient mitoyens au second étage, et le troisième était celui des gardes. Il est désormais celui de la famille, en ce que le donjon était jadis conçu pour un seigneur solitaire, lors qu'il est désormais celui d'époux et leurs deux enfants. La garde a désormais sa dépendance propre, auprès des écuries ; l'aula, siège de jeux enfantins, et la coquina ont chacune gagné un peu d'espace, pour le confort de tous.
Viana désormais vint lever sa maîtresse, rincer encore les points de son corps qui accumulent le plus la sueur, puis tresser ses cheveux en arrière, la couvrir d'un grand mantel bleu sombre, brodé d'argent, aux couleurs de Saint-Félix. Sur son front, on posa la couronne vicomtale, celle qui jadis appartint à Marguerite de Volpilhat et qu'elle avait léguée à Cristòl pour la vicomtesse des Fenouillèdes – elle parut diablement lourde à sa nuque éreintée.
Alors, d'un hochement de tête et quelques mots bredouillés à la nourrice, toutes deux descendirent l'escalier étroit dans l'épaisseur du mur du donjon.

Entrant dans l'aula, un sourire trahit la solennité du moment. Elle aurait voulu présenter l'enfant debout, mais la fatigue déjà se faisait sentir. Elle n'était qu'au lendemain de sa délivrance. Elle avança vers Adelphe et prit ses mains avec la sienne, la droite.

Mon époux... Elle se tourna vers la nourrice, qui portait le nouveau-né.
J'ai le grand plaisir de vous présenter votre fils... Premier né... Il est né au matin et est tout ce qu'on attend de lui. Comprendre : même si emmailloté, cela ne se voit pas, il a bel et bien deux bras. Deux jambes. Deux baloches.

Comment voulez-vous le baptiser ? Elle, elle en avait bien, des idées... Mais elle ne put que s'accrocher fort à Adelphe, puis céder et s'asseoir, car elle avait des lueurs dans la vue, comme des lucioles en plein jour. Vraiment, elle était fatiguée.

Pas qui le font patienter, il ne s'assoit pas, il attend. Mains installées dans son dos, regards vers la belle Magalona, furtifs, et rôle dont il s'imprègne. Un futur père est impatient, il veut un fils pour perpétuer son nom ! Lui, il ne voulait rien, son fils il l'a déjà ! Quel besoin d'en avoir un autre ?

Idées dissimulées et regards sur son père maintenant. Conscience qu'il ne sera jamais ce genre de père, là. Lui n'est là que pour Cristòl, l'autre, il s'en moque bien. Qu'il soit mort ou vif.

Sa femme entre enfin, dans toute sa splendeur ! Rire moqueur qu'il retient, trop bien, ne pas oublier les bonnes résolutions, Remiremont ! Mains qu'il lui laisse prendre quand elle s'approche. Elle est pâle et faible, il le sent. Bouche qu'il entre-ouvre, prêt à parler, mais déjà elle reprend et c'est un fils, un fils !

Bouche qu'il referme, yeux plantés dans les siens cherchant quelque chose mais elle s'échappe et s'assoit. Regard cette fois sur l'enfant, blond comme les blés, et deux noms sortent sans attendre.

ἔλεος Ἀστυάναξ

Fin sourire amusé, à part son père, nul ne comprendra.

La mère et l'enfant arrive enfin. Il est heureux de les voir. Il trouve Aimelina un peu faible et veillera à ce qu'elle se remette rapidement de la délivrance, mais l'enfant, lui, semble plein de vitalité. Mais le plus surprenant, ce sont les noms que Adelphe choisi. Fils des Ténèbres dans un premier temps, la "pitié", la miséricorde pour ce monde cruel. Dans un second temps, le nom du fils de Hector. Cela fait de lui Priam et ça l'amuse un peu. Mais le tout à plusieurs sens et, connaissant Adelphe, le sens premier est celui du destin tragique du second nom et de l'ascendance du premier, ce qu'il représente surtout. Fils des Ténèbres et de la Nuit, porteur de pitié. Et fils honnis par les Achéens qui sera sacrifié du haut de la tour pour satisfaire la vengeance d'un peuple. Pourtant, Skip fera surtout le point sur le sens glorieux que cela donne.

Le Miséricordieux Prince qui règne sur la Cité! Un grand nom que tu donne à ton fils!

Skip se lève et va vers Adelphe et la nourrice. Il prend l'enfant alors et l'observe un bref moment. Son visage à celui d'Adelphe et, pris d'une émotion, sourit en versant une larme. Enfin, il le donne à Adelphe.

Il est tout ton portrait! Prend ton fils Adelphe!

Il pose enfin une main sur l'épaule de son fils et lui sourit en lui répondant en grec*.

Είσαι ένας καλός πατέρας. Σε εμπιστεύομαι.

Il lui sourit encore et se tourne vers l'assemblée.

Saluez tous Eléos Astyanax!

*Tu est un bon père. J'ai confiance en toi.

Ricanement qu'il retient à la traduction que fait son père. Il aurait du savoir qu'il verrait le côté glorieux de la chose, lui ne voit que l'ombre et la mort. L'enfant est le fils des ténèbres et il sera sacrifié au profit unique de son frère. L'aîné prime toujours dans ce monde ci, non ?

Enfant qu'il repose dans les bras de son grand-père, lui ne sait pas comment on tient cette chose grouillante au regard étrange et réponse en grec, toujours.

Πάρτε πίσω το τώρα. Εγώ δεν το θέλω και το ξέρεις. Εσύ είσαι αυτός που θα σηκώσει.

Regard vers sa femme cette fois. Il sait qu'elle ne comprend pas, pas encore. Mais le temps viendra.

Reprends le, maintenant. Je n'en voulais pas et tu le sais. C'est toi qui l’élèveras.

Le courrier avait, comme prévu par son expéditrice, mis des éternités à atteindre le Latium. Guillaume avait en effet regagné sa retraite romaine au retour de son dernier voyage languedocien. Et, comme à chaque fois, il s'était dit que quitter la ville des villes ne lui valait rien, chacune de ses expéditions outre-Alpes semblant se révéler pire que la précédente. Il s'était donc plongé dans l'étude, parvenant à y immerger tout ce qui demeurait du jeune homme jovial qui avait tant plu à la Renarde, lors de leur première rencontre. Il n'avait plus cherché à garder contact avec qui que ce soit de là-bas, quand bien même nombreux avaient été ceux qui s'étaient montrés plutôt sympathique à son égard. Mais le fait que sa sœur se marrie et que l'époux soit tel... Voila qui avait suffi à lui faire préférer les discussions avec les notaires apostoliques et les secrétaires florentins de passage en bord de Tibre. Ses progrès avaient d'ailleurs été remarquables, et il s'attirait toujours plus les félicitations de ses maîtres... et les jalousies de ses condisciples. Mais il ne s'en souciait plus, se dessinant peu à peu dans son esprit le parcours qui serait le sien.

C'était dans cet état d'esprit, alors qu'il lisait un compendium sur les devoirs des principaux ministres du culte, que le Chauconin reçut le fameux pli. Comme s'il ne pouvait jamais être tranquille, comme si immerger son passé ne suffisait pas. Mais le noyer, il n'y était pas parvenu. Quelque chose d'autre, de plus grand et de pire, lui survivait, malgré toutes ses tentatives. Le cilice, le martinet, le jeune, rien n'avait fait. Il n'avait oublié ni les rires ni la fatidique nuit qui les avait uni de la plus complète et forte des façons. Et aujourd'hui, ces mots, ces lignes. Il était allé rejoindre un couvent hors les murs, pour s'épuiser le corps et l'esprit, espérant, sans trop y croire, oublier tout cela. Elle, sa famille, qui il était. Il avait battu les champs comme si tous avaient été l'honni beau-frère, s'était fait saigner les mains à rendre jaloux d'envie tous les chirurgiens de la région, mais rien n'y avait fait. Sa nuit s'était peuplée des Fenouillèdes, des souvenirs, toujours douloureux.

Trois jours plus tard, il avait appris qu'une mission partait conduire des reliques dans un prieuré d'Alsace. Sans trop de difficulté il s'y était aggloméré, arguant de sa connaissance, réelle, des routes et difficultés qui séparaient Rome des côtes méridionales du royaume de France. Jouant des faveurs qu'on lui attribuait, en le faisant il avait déjà décidé de la dure punition qu'il s'infligerait, il s'était fait donner un autre congé par ses maîtres.

Jusqu'en Provence, la mer avait été calme, sans le moindre accident, ce qui était au final assez rare pour être signalé. C'est à Marseille qu'on les avait débarqué, et de là ils passèrent par Avignon. Où le Chauconin abandonna ses compagnons de voyage, les recommandant à Deos et à tous ses saints. Ne restait « plus » qu'à retrouver les terres familiales sans encombre...

Le coche s'était ouvert et le rêve s'était envolé. J'avais saisi la main de Skip, avec douceur, peut-être même avec faiblesse. Plus rien ne subsistait de ce premier baiser, sauf peut-être le rose sur mes joues que n'avaient pas manqué de remarquer le père d'Adelphe et son aimée. Le poids du devoir alourdit mes épaules. La femme que j'avais été un simple instant disparut alors, corps et âme. Je n'avais pas le droit. J'avais trahi... Mon corps se voûta légèrement. Mon visage se figea dans un masque. J'étais sincèrement heureuse de revoir Ariana et Skip, mais je ne m'en réjouissais pas, je n'y arrivais pas.

Perdue dans mes tourments, noyée dans mes ténèbres, je ne voyais que mes faiblesses et j'en étais partagée. Je choisis alors de faire taire mes questions : ce jour n'était pas le mien et tout ceci n'était qu'un rêve. Je pris ma place dans le cortège, offrant un sourire à Adelphe, à son père, à sa belle-mère. Mes hommes savaient ce qu'ils avaient à faire sans que je leur dise. Je n'eus donc pas à échanger sur ce sujet.

Pour tromper l'attente et excuser mon silence, je grignotais de la salicorne. L'on ne parle pas quand on a la bouche pleine, sans quoi l'on se fait mal comprendre. De toute façon, je n'avais rien à dire.

Linèta parut, revêtant une couronne que je reconnus aussitôt. Je pensais alors à Mère. Linèta lui ressemblait par certains aspects. Je me tus, la laissant approcher son époux. Il révéla alors les prénoms qu'il avait choisi. Je ne pus refouler le frisson qui parcourut mon corps. Pour donner le change, je demandais à Ugueta, pour l'instant bras vides, de me faire porter un châle. Mes bras m'entourèrent. Adelphe se rendait assurément compte de la portée de ces prénoms. J'en étais certaine car il était éclairé. Mais il ne savait sans doute pas qu'enfant je m'étais toujours considérée comme les ténèbres de ma flamme de sœur, désormais disparue. Mais pourquoi parler en Grec ? Mes bras m'étreignaient toujours alors que déjà Adelphe se débarrassait de son fardeau dans les bras de Skip qui semblait le plus heureux des hommes. J'étais assez proche pour entendre les mots prononcés par mon beau-frère. Sa détermination semblaient sans faille.

Avant même de m'approcher de l'enfant d'Adelphe et de ma sœur, j'avançais vers Linèta. Je baisais alors son front, par repentir, par amour. Nul mot ne franchit mes lèvres. Puis, je m'approchais d'Adelphe et je fis de même. Au contact de mes lèvres sur sa peau, me revint le souvenir de notre baiser aux saveurs de miel. Je fermais les yeux, espérant chasser cette réminiscence, mais au contraire les images et les sensations que j'avais ressenties m'envahirent. Je les repoussais violemment, priant le Très-Haut de me venir en aide. Je n'eus l'envie d'adresser des félicitations que je savais n'être pas sincères en cet instant. Je me tournais alors vers mon nouveau neveu, en sécurité dans les bras de son grand-père. Un soupir s'échappa, un peu plus bruyant que je ne le souhaitais, puis je baisais son front. Dans un murmure, je lui fis et me fis promesse.

La benvenguda lo meu nebot.*
Θα σας διδάξω ελληνικά. **
Docebo Latin. ***
Et bien d'autres langues encore...

Puis j'allais enfin m'entourer du châle qui m'était apporté, achevant ainsi de revêtir le costume qui serait désormais le mien.

_________
* La bienvenue mon neveu.
**Je t'enseignerai le Grec.
*** Je t'apprendrai le Latin.

Navrée si ce ne sont pas là de bonnes traduction, mon latin est très rouillé & je n'ai jamais étudié le Grec, mais Mag si, alors j'ai utilisé des dico en ligne ^^

L'enfant passait de bras en bras, et Aimelina les regardait tous entourer cet enfant d'amour et de prévenance. Elle avait dans la tête, comme un bourdonnement, le nom choisi par son époux. Au début, elle n'avait pas compris, puis Skip l'avait aidée. Sur ces sons, il avait mis un sens. Le Prince miséricordieux. Soit, alors. Soit, Eléos.
Elle posait parfois sur ses proches des taches de lumière dorée. Des taches de sainteté.
Elle avait deux fils, désormais. Deux fils, aussi semblables que différents. Cristòl et Eléos. Le sang et l'esprit.
Le baiser de sa soeur était chaud, étourdissant. Elle sourit.

Arrêtez donc de parler des langues que je ne comprends pas, mes amis ! Avec vous, mon fils me sera vite un étranger... !

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